12 février 2007

"Un monstre aux yeux verts qui outrage la chair qu'elle dévore"




Cher Philippe,

Alors là, rien à redire, l'émission d'hier était vraiment palace et glamour, presque autant qu'une interview de mademoiselle Deneuve.
Pourtant, j'hésite à avancer sur le terrain de la jalousie, ce monstre aux yeux verts qui outrage la chair qu'elle dévore, tant la mienne est terrible à imaginer toutes ces femmes qui gravitent autour de toi :
Anne Delalande pour commencer, la seule stagiaire du monde qui doit être heureuse de son sort - moi, à sa place, je le serais tant ;
Ensuite, toutes les jeunes femmes qui guettent comme moi chacune de tes missions et émissions, devant et derrière le poste;
Enfin, même si mes mains tremblent à l'écrire, ta femme, ton amoureuse, ta roudoudette d'amour, bref, celle dont il me faut bien envisager la possibilité de l'existence, celle qui, peut-être, partage ta vie, celle sur qui tu répètes sûrement tes vannes, et celle qui, le dimanche matin, aux petites aubes, lorsque tu la presses de te donner des conseils sur les disques du jour, finit sans doute par te dire n'importe quoi pour que tu la laisses dormir. M'est avis que ce dimanche, tu as dû être particulièrement lourd avec ta pauvre femme :

Au dedans de moi, c'est ce que fredonne Jean-Louis Murat sur son dernier album intitulé Taormina; Taormina, c'est une petite ville d'Italie, dans la province de Catane, face à l'Etna, que les Siciliens comparent carrément à Saint-Tropez. C'est ça, oui, vantards, et jaloux en plus.

Philippe Collin, France Inter, dimanche 11 février, vers 11h19.


Belle collinade... Celle-là, il fallait la trouver.
Allez, je pérore, je fais mon intéressante, mais au fond, c'est juste pour dissimuler mon trouble à la pensée que, peut-être, tu en aimes une autre. Alors, je pourrais, avec le Swann de Proust, décrire la pieuvre de la jalousie qui m'étouffe de ses tentacules, comme si cette jalousie [avait] une vitalité indépendante, égoïste, vorace de tout ce qui la nourrirait, fût-ce aux dépens de [moi]-même.
Mais tout passe, nous ne le savons que trop, et la jalousie finira bien par disparaître, elle aussi. Qui sait, je ne t'aimerai peut-être pas toute ma vie ? Ou peut-être qu'un jour - et cette option a ma préférence - ta femme te quittera, lasse de te sacrifier toutes ses grasses matinées, et que ce jour tu t'écrieras avec Swann, lucide :

Dire que j’ai gâché des années de ma vie, que j’ai voulu mourir, que j’ai eu mon plus grand amour, pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n’était pas mon genre!


Ce jour-là, cher Philippe, n'oublie pas qu'en plus d'avoir consacré mes jours et mes nuits à t'aimer - et connais-tu beaucoup d'hommes qui pourraient en dire autant ? -, je suis, moi, tout à fait plaisante, et tout à fait ton genre : si mes yeux sont verts, je ne les lèverai jamais sur toi pour t'outrager.

A toi pour toujours,

Valentine



Shakespeare, Othello, III, 3, v. 166, 1604
Proust,
Un Amour de Swann, 1913

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